Marie Thamin en trompe-l'oeil
Cela dans l'espace indécis où se fondent l'ombre et la lumière est-ce émergence ou dilution, forme encore ou déjà se précisant, mais dont les plans ne se distinguent que modérément de l'espace dans lequel ils se tiennent ? D'être ainsi peu tranchée la forme a une présence subtile, qui ne s'impose pas comme c'est le cas quand traditionnellement l'objet, le motif, est mis en vedette, mais qui est d'autant plus prégnante. Cela ne se donne pas dans le choc de l'évidence, mais se propose à l'accueil, comme porté discrètement, modestement, dénué de tout spectaculaire.
Cela, ce furent vases, pots, récipients imprécis, objets de l'ordinaire s'ils étaient plus qu'esquissés ; contenants qui ne montrent rien, ne sous-entendent rien de ce qu'ils contiendraient, auraient contenu, pourraient contenir et qui de l'un à l'autre quand ils sont plusieurs, deux ou trois, sont familiers tant ils sont unis par la modulation de l'espace coloré qui les enveloppe, les anime, les allège.
Vases, pots, hier ; maisons, architectures, aujourd'hui ; mais semblables, bien qu'à l'imaginaire une autre dimension s'instaure : de la nature morte domestique on passe au paysage urbain et notre esprit autrement va son chemin. Alors ce sont des murs qui se dressent, percés (rarement) ou non de fenêtres aveugles, habitations inanimées, posées là sans autre fonction que leur présence, à moins qu'on y sente le souvenir d'un passé au terme duquel elles auraient été délaissées, ou qu'elles soient inachevées, dans l'attente d'une vie future (je penche plutôt pour la première hypothèse et c'est au rayonnement de la mémoire qu'elles me semblent appartenir plus qu'à quelque projection, ce que confirme la couleur, déclinaison de gris que tempère ici un léger bleu, un rouge fané, un beau jaune rouille, couleurs comme écaillées, s'éludant au fil du temps ; couleurs passées, couleurs du temps passé).
Toute image est trace de l'objet par la médiation d'un regard et traces sont ces objets en leur apparition/disparition : demi-mesure de la présence, présence qui se refuse autant qu'elle se donne. La peinture, même qui à l'évidence se voue encore à la représentation d'objet, figure l'absence de l'objet. Toute image est un substitut et la peinture en se donnant elle-même comme objet prend la place de l'objet ; elle est objet même, objet de l'absence d'objet. La trace est concrète, certes, mais elle comble un vide. Elle est signe que se fait une mémoire. Elle est empreinte, réalité de l'absence. Or en ses œuvres Marie Thamin cultive cet art particulier de l'empreinte qu'est le monotype, trace unique par impression d'un travail de peintre qui est intervenu sur un support dont l'application a inversé le motif et altéré la matière. Ainsi est médiatisé le geste d'origine, dont seule la trace est accueillie par la feuille qui en subit l'impression. A ceci près que la méthode de Marie Thamin est plus complexe : si le jeu du monotype est constitutif de son travail il est complété par une peinture directement apposée sur la feuille définitive, soit au préalable soit en complément.
Qu'on ne s'étonne pas si d'un tel redoublement du jeu présence/absence c'est de la mélancolie qui rayonne, nous entraînant à une rêverie d'ondes troubles et fluctuantes. Et cela ( de telles demeures inhabitées, inhabitables ), qui paraissait calme, anodin quasiment en son apparence si peu matérielle et son traitement si tendre, affirme une étrangeté quelque peu inquiétante. Ici se fait une ouverture sur les profondeurs de l'intime en lesquelles toute œuvre digne de ce nom prend racine, s'affirme en trompe-l'œil à rebours de toute idée reçue.
Gilles Plazy septembre 2017
..................................................................................................
Stilleben
Stilleben, vie paisible. Ce sont des objets qui se reposent aurait pu dire Eugène Guillevic en regardant les poteries et les bouteilles de Marie Thamin sur fond coloré nervuré de nuances grises, vertes ocres, rouges ou bleues. Ces monotypes, ces tirages uniques saisissent l’instant d’une pose et entretiennent une relation subtile entre l’éphémère et la durée, car ces objets prolongent leur existence caduque en imposant leur présence au-delà de leur fonctionnalité.
Ils sont nus, décontextualisés des lieux quotidiens où ils ont servi. Ainsi ces monotypes échappent à la figuration classique des natures mortes qu’on trouve chez Chardin, Cézanne et s’apparentent davantage à celles peintes par Morandi ou encore Alexandre Hollan. Point d’imitation, simplement un salut sensible à des œuvres que l’artiste admire et dont le travail diffère de Marie Thamin. L’artiste, en les privant de leur décorum quotidien, les célèbre dans leur nudité première, les soustrait à l’oubli, à l’usure du temps en leur accordant une nouvelle fonctionnalité qui est celle du sujet. Prétexte pour évoquer la temporalité des choses, mais aussi cette diachronie qui agrège ces moments intimes que l’artiste associe à ces objets. Ils concentrent sa mémoire et sa géographie intime.
Certaines œuvres échappent à une frontalité dans leur mise en scène. Leur représentation révèle une transparence et semblent coulisser dans un espace où la temporalité apparaît tout autre. Elles échappent ainsi à leur pesanteur en acquérant une dimension plus aérienne, presque évanescente, comme si l’éphémère de l’instant coïncidait avec une fluidité du travail.
En montrant les objets dans leur nudité première en dépit des stigmates que les usages et ceux du temps leur ont laissés, Marie Thamin évite tout artifice et rejoint ainsi les préoccupations qu’avait le poète Francis Ponge dans son livre « Le parti pris des choses » où il cherchait à raboter l’arbitraire du langage pour révéler les sujets décrits dans leur vérité nue et profonde.
Alain Le Beuze avril 2015
..................................................................................................
L'utilité de la cruche réside dans son espace vide, capable de contenir l'eau, non dans sa forme ou sa matière, car le vide est tout puissant parce qu'il embrasse tout. Dans le monde de l'art, la valeur accordée à la suggestion illustre l'importance du même principe. En laissant une part au non-dit l'artiste offre au spectateur l'occasion de compléter l'idée sous-jacente ; c'est ainsi qu'une œuvre capte irrésistiblement notre attention jusqu'à ce que nous croyions véritablement en faire partie. Il y a là un vide dans lequel nous pouvons pénétrer et que nous pouvons emplir à la mesure de notre propre émotion esthétique.''
Okakura Kakuzô Le livre du thé 1906 -(extrait)
Blockhaus
Je marche au bord de la mer, le regard noyé dans l'immensité de l'océan. Le vent me traverse la tête et je sens les vibrations du va et vient des vagues, lancinant et obsédant.
Puis se dresse à l'horizon une construction désertée qui s'enfonce avec le temps dans le sol. Symbole d'un passé qui se voulait glorieux, forteresse jadis invincible et qui aujourd'hui finit par céder lentement à la morsure du vent et des marées.
Ce lieu de mémoire abandonné, dépecé, trace des temps troublés, vanité de l'homme qui s'écroule, sera un jour pièce archéologique ou finira par retourner à l'océan en lui restituant une partie du sable qui l'aura construit.
Figé dans cette étendue vide, lieu de rencontre de la fragilité du vivant avec ces tonnes de béton armé parfois traversées par la lumière, cet ancien vestige de bruit et de violence devenu ''théâtre-paysage'', habitation ou musée, a trouvé le calme et se transforme en une image qui s'insinue en moi avec une dérangeante insistance.
Ma vision de ces blocs ne peut pas être seulement l'écho de la fureur du monde mais sans rien renier, elle invente autre chose, car je me sens être comme un intermédaire entre ces témoins de l'histoire et l'histoire à venir sans témoins.
Ainsi vont naître à l'atelier des abris aux formes adoucies, sans détails superflus, aux ombres figées d'une lumière dont on ne connait pas la source, des images postées à la lisière du rien.
Marie Thamin 2021