Falaises
Quelques maisons de guingois composent
une singulière partition sur la ligne des falaises
qui imposent leurs dynasties rocheuses.
Leurs armoiries sont un ruissellement de couleurs
où le temps vert-de-grise les motifs de leurs armures.
En équilibre à la commissure du ciel et des pentes
affranchies de tout péril apparent
elles inspirent l'audace
au-dessus de ce brasier rocheux
qu'un remue-ménage d'herbe indiffère.
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Elles sont adossées à l'obsidienne de la nuit
dans ce théâtre de vents et de pluies
surplombant les escarpements rocheux
où sommeille l'origine du monde.
Ce palimpseste géologique
donne à ces vestales de pierre
une dignité immémoriale.
Dans ce désordre de couleurs chancelantes
les falaises livrent leur mythologie.
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Elles surplombent les gorges
où la foudre des pierres
dilapide la parole de l'air
et encourage une nuée d'ombres volubiles
à s'envoler de la légende des pétrés.
On entend le glas résonner
dans cette confuse mer de poussière
et le gémissement du silence
recouvrir une mémoire déchue.
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Alain Le Beuze (extraits)
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Marie Thamin en trompe-l'oeil
Cela dans l'espace indécis où se fondent l'ombre et la lumière est-ce émergence ou dilution, forme encore ou déjà se précisant, mais dont les plans ne se distinguent que modérément de l'espace dans lequel ils se tiennent ? D'être ainsi peu tranchée la forme a une présence subtile, qui ne s'impose pas comme c'est le cas quand traditionnellement l'objet, le motif, est mis en vedette, mais qui est d'autant plus prégnante. Cela ne se donne pas dans le choc de l'évidence, mais se propose à l'accueil, comme porté discrètement, modestement, dénué de tout spectaculaire.
Cela, ce furent vases, pots, récipients imprécis, objets de l'ordinaire s'ils étaient plus qu'esquissés ; contenants qui ne montrent rien, ne sous-entendent rien de ce qu'ils contiendraient, auraient contenu, pourraient contenir et qui de l'un à l'autre quand ils sont plusieurs, deux ou trois, sont familiers tant ils sont unis par la modulation de l'espace coloré qui les enveloppe, les anime, les allège.
Toute image est trace de l'objet par la médiation d'un regard et traces sont ces objets en leur apparition/disparition : demi-mesure de la présence, présence qui se refuse autant qu'elle se donne. La peinture, même qui à l'évidence se voue encore à la représentation d'objet, figure l'absence de l'objet. Toute image est un substitut et la peinture en se donnant elle-même comme objet prend la place de l'objet ; elle est objet même, objet de l'absence d'objet. La trace est concrète, certes, mais elle comble un vide. Elle est signe que se fait une mémoire. Elle est empreinte, réalité de l'absence. Or en ses œuvres Marie Thamin cultive cet art particulier de l'empreinte qu'est le monotype, trace unique par impression d'un travail de peintre qui est intervenu sur un support dont l'application a inversé le motif et altéré la matière. Ainsi est médiatisé le geste d'origine, dont seule la trace est accueillie par la feuille qui en subit l'impression. A ceci près que la méthode de Marie Thamin est plus complexe : si le jeu du monotype est constitutif de son travail il est complété par une peinture directement apposée sur la feuille définitive, soit au préalable soit en complément.
Qu'on ne s'étonne pas si d'un tel redoublement du jeu présence/absence c'est de la mélancolie qui rayonne, nous entraînant à une rêverie d'ondes troubles et fluctuantes. Et cela ( de telles demeures inhabitées, inhabitables ), qui paraissait calme, anodin quasiment en son apparence si peu matérielle et son traitement si tendre, affirme une étrangeté quelque peu inquiétante. Ici se fait une ouverture sur les profondeurs de l'intime en lesquelles toute œuvre digne de ce nom prend racine, s'affirme en trompe-l'œil à rebours de toute idée reçue.
Gilles Plazy
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Stilleben
Stilleben, vie paisible. Ce sont des objets qui se reposent aurait pu dire Eugène Guillevic en regardant les poteries et les bouteilles de Marie Thamin sur fond coloré nervuré de nuances grises, vertes ocres, rouges ou bleues. Ces monotypes, ces tirages uniques saisissent l’instant d’une pose et entretiennent une relation subtile entre l’éphémère et la durée, car ces objets prolongent leur existence caduque en imposant leur présence au-delà de leur fonctionnalité.
Ils sont nus, décontextualisés des lieux quotidiens où ils ont servi. Ainsi ces monotypes échappent à la figuration classique des natures mortes qu’on trouve chez Chardin, Cézanne et s’apparentent davantage à celles peintes par Morandi ou encore Alexandre Hollan. Point d’imitation, simplement un salut sensible à des œuvres que l’artiste admire et dont le travail diffère de Marie Thamin. L’artiste, en les privant de leur décorum quotidien, les célèbre dans leur nudité première, les soustrait à l’oubli, à l’usure du temps en leur accordant une nouvelle fonctionnalité qui est celle du sujet. Prétexte pour évoquer la temporalité des choses, mais aussi cette diachronie qui agrège ces moments intimes que l’artiste associe à ces objets. Ils concentrent sa mémoire et sa géographie intime.
Certaines œuvres échappent à une frontalité dans leur mise en scène. Leur représentation révèle une transparence et semblent coulisser dans un espace où la temporalité apparaît tout autre. Elles échappent ainsi à leur pesanteur en acquérant une dimension plus aérienne, presque évanescente, comme si l’éphémère de l’instant coïncidait avec une fluidité du travail.
En montrant les objets dans leur nudité première en dépit des stigmates que les usages et ceux du temps leur ont laissés, Marie Thamin évite tout artifice et rejoint ainsi les préoccupations qu’avait le poète Francis Ponge dans son livre « Le parti pris des choses » où il cherchait à raboter l’arbitraire du langage pour révéler les sujets décrits dans leur vérité nue et profonde.
Alain Le Beuze
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Blockhaus
Je marche au bord de la mer, le regard noyé dans l'immensité de l'océan. Le vent me traverse la tête et je sens les vibrations du va et vient des vagues, lancinant et obsédant.
Puis se dresse à l'horizon une construction désertée qui s'enfonce avec le temps dans le sol. Symbole d'un passé qui se voulait glorieux, forteresse jadis invincible et qui aujourd'hui finit par céder lentement à la morsure du vent et des marées.
Ce lieu de mémoire abandonné, dépecé, trace des temps troublés, vanité de l'homme qui s'écroule, sera un jour pièce archéologique ou finira par retourner à l'océan en lui restituant une partie du sable qui l'aura construit.
Figé dans cette étendue vide, lieu de rencontre de la fragilité du vivant avec ces tonnes de béton armé parfois traversées par la lumière, cet ancien vestige de bruit et de violence devenu ''théâtre-paysage'', habitation ou musée, a trouvé le calme et se transforme en une image qui s'insinue en moi avec une dérangeante insistance.
Ma vision de ces blocs ne peut pas être seulement l'écho de la fureur du monde mais sans rien renier, elle invente autre chose, car je me sens être comme un intermédaire entre ces témoins de l'histoire et l'histoire à venir sans témoins.
Ainsi vont naître à l'atelier des abris aux formes adoucies, sans détails superflus, aux ombres figées d'une lumière dont on ne connait pas la source, des images postées à la lisière du rien.
Marie Thamin
Faiblesses des fortifications
Qu’importe qui l’a construit, qu’importe son nom, bunker ou blockhaus ; il fut bâti pour la guerre, sous la contrainte d’urgences absurdes, il fut bâti non pour la vie, mais pour la survie. Avec des murs à l’épaisse grisaille, singeant le mode minéral dans sa capacité à durer, à résister à toute violence, à l’humide, à l’usure, et même à la mort la plus brutale. Ouvrage pathétique d’hommes perdus entre la fureur de mitrailler et le désir d’échapper à la mitraille…
Et maintenant approchez-vous encore plus près de sa rugueuse apparence, voyez ces murs s’incliner légèrement les uns sur les autres, comme pour échapper à l’immobilité, regardez les lueurs qui naissent sur leur surface brute, voyez les teintes chaudes venues nourrir la grisaille.(...)
Une femme vous a précédés, elle est passée là et a posé sur l’ouvrage de béton son regard doux et les couleurs que depuis toujours il sait faire naître. Elle a vu mieux que le passant distrait ce qu’il y avait de friable en ces murs qui se voulaient indestructibles. Elle a écouté leur silence, restituant peut-être dans son travail un peu du rire des enfants venus jouer là ; mais en donnant surtout avec la force de la couleur une chance de s’animer et d’exister, de nous dire quelque chose, une chance donnée même à ces parois les plus uniformes, les plus endurcies, les plus ternes, les moins naturelles…
Une femme au regard doux, venue là pour nous dire, par de patientes enluminures, que toute vie est avant tout fenêtre s’ouvrant sur ces lumières intimes qui se réfugient parfois très loin au cœur de nos silences, de nos grisailles, de nos fragilités, les plus anciennes comme les plus passagères…
Jean-Louis Masseboeuf